Les paysages équatoriens sont, pour le moins, surprenants. On traverse en sortant de Vilcabamba des zones résidentielles aux maisons cossues, équipées de barbecues, de garages, de piscines… on est bien loin des petits villages péruviens et boliviens où beaucoup de maisons n’ont pas l’eau courante et un sol en terre battue! Le paysage se fait ensuite progressivement plus rural, on remonte une vallée vert vif aux reliefs doux comme les plis d’un drap; la vallée ressemble à un petit paradis caché, tranquille, avec des jardins fleuris, de jolies maisons vieillies par le temps, le soleil et les intempéries, aux murs en terre et aux toits de tuiles recouvertes de plantes opportunistes, qui à l’abri des prédateurs, créent de petits jardins parfaits d’orchidées, de crassulacées et de lichens. Les talus sont peuplés d’eucalyptus et d’orchidées jaunes et oranges, éclatantes dans le vert poussiéreux des bords de la piste. La route qui remonte ensuite nous amène dans un paysage de pâturages bien gras, de vaches au pâchon, de forêts de pins et de collines… Ce n’est pas vraiment l’image qu’on se faisait de l’Equateur, on imaginait quelque chose de plus « tropical », avec pleins de fruits, de plantes et d’animaux exubérants, pas vraiment des vaches et des pins… Nous voila dans un paysage digne du Jura ou du Massif Central, avec 2000m de plus et quelques degrés de latitude en moins, où l’on rencontre parfois de minuscules colibris aux couleurs éclatantes, bleu turquoise et vert émeraude, aux battements d’ailes trop rapides pour les percevoir, qui viennent butiner des fleurs presque plus grosses qu’eux, et de petites orchidées qui illuminent les talus.
Les abords de Cuenca ressemblent à n’importe quelle banlieue de grande ville européenne, avec des cochons rôtis fièrement exposés au bord des routes pour appâter le passant; la quantité de cochons cuits chaque jour est impressionnante. On s’arrête quelques minutes pour réparer la deuxième crevaison de la journée, et on voit arriver tout contents nos amis Suisses, Sarah et Arthur, partis un peu après nous de Vilcabamba. On continuera avec plaisir un bout de route avec eux. On arrive à Cuenca, jolie ville connue pour son architecture coloniale, par une grande avenue descendante au bout de laquelle se dresse les bulbes bleu ciel de la cathédrale; l’avenue est décorée de drapeaux jaunes et rouges, la place centrale bondée, c’est la fête de l’indépendance et les gens sont venus de tout l’Equateur à Cuenca pour profiter des festivités, apparemment réputées… si bien que tous les hôtels sont pleins et qu’on ne trouve de quoi se loger que sur le toit d’une auberge!
Le lendemain, on part visiter la ville; moyennant quelques dollars, on peut monter sur le toit de la cathédrale pour admirer la ville d’en haut. On y monte par un bel escalier en colimaçon, parfaitement régulier, construit tout en une quantité innombrable de petites briques, comme pour suggérer une quelconque image du purgatoire en montant indéfiniment dans cet escalier uniforme, en file indienne. La vue sur la ville est bien belle, même si la plus grosse attraction est probablement les détecteurs qui déclenchent une alarme quand on s’approche un peu trop près des trous et qui amuse beaucoup les touristes.
Le musée d’ethnologie est plein d’objets que l’on a vu presque tous les jours en traversant les petits villages ruraux ces derniers mois, comme si le développement tout récent et rapide de l’Equateur les poussait à reléguer un mode de vie pas assez « moderne » au rang de l’histoire ancienne alors qu’il ne l’est pas. Vêtements, outils, mobilier, objets de la vie courante, vaisselle, bijoux, tissus… Les têtes réduites viennent plus loin, dans un couloir sombre et étroit comme une maison hantée, pour nous mettre dans l’ambiance; les têtes sont vraiment minuscules, de la taille du poing, et incroyablement bien conservées. L’idée était d’enfermer l’esprit vengeur de son ennemi à l’intérieur de la tête et de la porter sur soi pour s’accaparer ses forces; pour éviter tout problème de vengeance venant d’un être bien vivant, toute la famille était aussi assassinée…
On repart tous ensemble en direction de Riobamba; le paysage ressemble à celui des derniers jours, des champs et des collines. Une belle mer de nuages avale le monde de moins de 2500m au détour d’une bosse, seule la chaîne de montagnes que l’on suit reste émergée, on pourrait être au bout du monde.
